Isabeau d'ARBAUD de Blauzac, née de MOYNIER de Fourques (1640 - 1703)
Les origines...
Les de MOYNIER sont une puissante famille protestante méridionale : le père d’Isabeau est seigneur de Fourques et surtout Trésorier de France. Isabeau sera en effet richement dotée pour son mariage : 30 000 livres d’apport, 18 000 livres de rentes, des mas à Fourques, etc.
Isabeau est, et demeurera toute sa vie (on va le voir), très attachée à la foi calviniste. De là ses malheurs à venir…
Elle épouse à 19 ans le seigneur de Blauzac, Jean d’ARBAUD, issu d'une famille originaire d’Arles, non loin de Fourques et lui aussi protestant. Arriviste, ambitieux, semble-t-il dénué de véritable sentiment religieux, Jean va, lui aussi, causer le malheur d’Isabeau…
Le couple aura 10 enfants (aucun ne meurt en bas âge).
La vision romantique...
Frontispice du livre de Johann Caspar MOERIKOFER, Histoire des réfugiés de la Réforme en Suisse, Paris, Sandoz et Fischbacher, 1878.
L'opiniâtre Isabeau...
Contrairement à son époux, Isabeau refuse de renier la foi huguenote.
Son mari Jean d’ARBAUD, lui, abjure le 19 décembre 1684, solennellement entre les mains de l’évêque d’Uzès, et à l’occasion des Etats de Languedoc qui se tiennent à Montpellier. A Blauzac c’est ainsi un des premiers à se convertir. L’intendant de Languedoc, Monsieur de BASVILLE, lui aurait promis une place au présidial de Nîmes (un tribunal royal d’appel juste inférieur au parlement de Toulouse) et des grades élevés dans l’armée pour ses garçons. Les co-seigneurs de Blauzac demeurent, pour l’instant, fidèles à CALVIN. Plusieurs préfèrent l’exil (mais ils reviendront ensuite à Blauzac et abjureront).
Avec l’aide d’un pasteur, la baronne Isabeau d’ARBAUD va fomenter un plan d’évasion, pour elle et ses enfants, vers les pays du Refuge.
Profitant d’un séjour de son époux en Arles (où il est membre de la prestigieuse Académie), Isabeau saute le pas. Les deux garçons aînés, accompagnés de deux sœurs, s’enfuient à Genève, en passant par le Dauphiné, et en prenant soin de séjourner chaque soir chez des connaissances protestantes préalablement prévenues.
Isabeau avait remarquablement préparé son coup !
Mais elle demeure encore à Blauzac avec ses autres enfants, plus jeunes, attendant peut-être une nouvelle occasion…
Au château de Blauzac le baron d’ARBAUD est furieux. Il soustrait les six enfants restant à l’emprise de leur mère et tente de les faire abjurer. Les trois plus jeunes (nés en 1677, 1678 et 1680) sont même confiés à une congrégation catholique d’Uzès.
Isabeau fait pression sur son mari par l’intermédiaire des co-seigneurs de Blauzac. Elle demande aussi l’aide de son père. C’est, semble-t-il, assez efficace puisque Jean d’ARBAUD fait revenir à Blauzac les trois enfants placés à Uzès. Mais l’évêque d’Uzès n’entend pas laisser passer une occasion aussi belle. Il exige qu’un prêtre demeure au château de Blauzac pour surveiller la famille seigneuriale, empêcher surtout la fuite d’autres enfants, la fuite de la mère, voire le retour à la RPR de Jean, peu scrupuleux sur les questions religieuses. Aux yeux de l’évêque, il faut éviter toute contagion au sein d’une population encore largement acquise à la foi de CALVIN, en particulier les élites. C’est pourtant ce qui va se passer…
Isabeau demande l’autorisation à son mari – et au prêtre qui la surveille désormais – de se rendre à la foire de Beaucaire (juillet 1685), comme elle en avait l’habitude chaque année. Le mari et le prêtre acceptent, à condition que ce dernier l’accompagne ! C’est donc escorté de l’abbé qu’Isabeau se rend à Beaucaire avec quatre de ses enfants. Le même jour Jean d’ARBAUD se rend lui aussi à Beaucaire pour confier les deux autres filles à un couvent !
La foire de la Madeleine de Beaucaire au 18e siècle
Un pont de bateau (à gauche) permet de passer facilement sur la rive gauche du Rhône et de rejoindre ainsi des terres plus hospitalières aux protestants (Orange par exemple). Gravure de Cleric et Litret dédiée au vicomte de Saint-Priest, Intendant de Languedoc entre 1751 et 1785 (coll. du Musée Calvet d'Avignon).
Le rocambolesque exil au Refuge...
La suite est à peine croyable : Isabeau se déguise en mendiante avec ses quatre enfants et elle disparait de la vue du prêtre (« ce spécieux ennemi de notre repos » écrit-elle). Isabeau a laissé un étonnant récit de cette évasion beaucairoise (orthographe modernisée) :
« Mon costume m’avait rendue si méconnaissable que mon mari qui passait sur la route et qui me rencontra ne me reconnut pas. Il était dans son carrosse avec le procureur du roi et deux de ses filles, Catherine et Margueritte, qu’il conduisait dans un couvent.
Après un triste regard et plusieurs larmes répandues d’une mère affligée, je ne pus donner autre secours que celui de mes prières et ma bénédiction, n’ayant osé me faire connaitre de peur de perdre encore les autres [les quatre enfants qui l’accompagnent].
Dieu sait avec quelle amertume de cœur je poursuivis mon chemin, me voyant dans l’obligation d’abandonner mon mari que j’aimais extrêmement avant sa chute [!] et mes deux filles exposées à toutes les violences [les pressions du père et de l’Eglise catholique pour les convertir].
Je continuai ma route jusqu’à Nyons, où chacun [sa cousine] fut touché de compassion à la vue de ma famille. »
Arrivée à Nyons, Isabeau envoie ses deux filles à… Marseille pour rejoindre… Genève en passant par… Nice et Turin. Elle-même rejoint Genève avec les deux garçons âgés de 7 et 8 ans. Puis Berne en septembre 1685. Elle demande alors, par courrier, au Conseil de Zurich « de servir de père à ses pauvres enfants et d’avoir compassion pour leur mère ».
La décadence de son mari, le seigneur de Blauzac Jean d'ARBAUD...
Une nouvelle fois furieux – et ô combien ridicule – le baron d’ARBAUD essaie de faire revenir sa famille.
Il essuie pourtant un refus des autorités de Berne (il réessaiera en vain plus tard).
Demeurant seul dans son château, il décide finalement de faire revenir ses deux seuls enfants non enfuis, les deux filles confiées à un couvent arlésien et, entre-temps, converties au catholicisme.
Une "institutrice" catholique sera quand même chargée de les surveiller de près !
Et pourtant, il les "perdra" toutes les deux !
L’aînée de ses enfants, Catherine, se marie avec un capitaine des galères de Marseille, mais un long procès s’engage entre le père et la fille à propos de sa dot (constituée en partie des rentes foncières d’Isabeau…) que le père entend récupérer !
Quant au dernier enfant qu’il lui reste, Marguerite, elle s’enfuit de nuit en se faisant ouvrir les portes du barry de Blauzac... Comme sa mère Isabeau, elle rejoint, déguisée en paysanne, la Suisse…
Jean d’ARBAUD poursuit ensuite l’essentiel de son existence à Nîmes, où il mène une vie de débauché, s’attirant à la fois les reproches de ses anciens coreligionnaires protestants et de ses nouveaux « amis » catholiques. Son fils Charles-René écrira de lui : « mon père est mort comme un athée et un dénaturé » ! Il est vrai que le père avait fait emprisonner au fort de Nîmes « ce fils indigne » « sous prétexte qu’il voulait retourner auprès de sa mère » (en réalité parce qu’il réclamait des biens à son père…).
Le souvenir du Refuge hantera longtemps la mémoire huguenote.
Gravure d'un prince protestant allemand qui avait accueilli des réfugiés français. Elle est collée à l'intérieur (donc non visible !) d'une "armoire peinte d'Uzès" (vers 1702-1703), famille de Sanilhac).
Coll. du Musée Georges-Borias d'Uzès.
Isabeau ne retourna jamais à Blauzac...
Isabeau parvient tant bien que mal à subsister. On sait alors peu choses d’elle. Mais elle manque cruellement d’argent. Elle est secourue plusieurs fois par les autorités de Berne, par le consistoire.
Elle s’installe à Magdebourg, puis à La Haye.
Sa fille Justine décide pourtant de rentrer en France, où son père, Jean d’ARBAUD, lui a promis « les mas de Malaïgue et Catane ». Les autres enfants feront souche dans les Etats allemands.
En 1703 Isabeau meurt en exil, à La Haye, à l’âge de 63 ans.
Jean d’ARBAUD meurt en 1719, laissant leur fils Charles-René (qui avait rejoint définitivement l’Eglise romaine) devenir le nouveau seigneur de Blauzac.
Isabeau aurait pu mener une vie tranquille de châtelaine aisée et respectée entre un mari qu’elle « aimait extrêmement » et ses dix enfants, dont pas un seul ne disparut, chose très rare à l’époque. Mais l’inconstance de son mari (pour ne pas l’accabler plus !), la politique d’intolérance louis-quatorzienne et son opiniâtreté religieuse en ont décidé différemment… Elle offre finalement le portrait d’une femme qui a forcé elle-même son destin, dans une époque où on les croit encore parfois toutes effacées.
Le portrait que dresse MICHELET de l'exil au Refuge correspond assez bien à la figure tourmentée d’Isabeau d’ARBAUD :
« La fuite du protestant est chose volontaire.
C'est un acte de loyauté et de sincérité, c'est l'horreur du mensonge, c'est le respect de la parole.
Il est glorieux pour la nature humaine qu'un si grand nombre d'hommes aient, pour ne pas mentir, tout sacrifié, passé de la richesse à la mendicité, hasardé leur vie, leur famille, dans les aventures périlleuses d'une fuite si difficile.
On a vu là des sectaires obstinés ; j'y vois des gens d'honneur, qui, par toute la terre, ont montré ce qu'était l'élite de la France. La stoïque devise que les libres penseurs ont popularisée, c'est justement le fait de l'émigration protestante, bravant la mort et les galères pour rester digne et véridique : Vitam impendere vero. La vie pour la vérité !
Voilà pourquoi les chemins de passage, ces défilés, ces forêts, ces montagnes sont sacrés de leur souvenir. Que de larmes y sont versées ! Il était rare que l'on partît ensemble. La famille se séparait parfois pour émigrer par des lieux différents, ou bien par l'impossibilité de fuir des malades, des faibles, des femmes enceintes, qui traînaient de petits enfants. On se quittait, le plus souvent, pour des destinées bien diverses. Tel périssait, telle était prise, enfermée, perdue pour toujours.
On ne se revoyait qu'au ciel. »
Jules MICHELET, Histoire de France au 17e siècle.
Complément bibliographique
- André SABIN a consacré à la famille d’ARBAUD un hors-série de la revue Mémoire d’Histoire en Uzège et Gard : « Les d’ARBAUD de Blauzac, Une famille éprouvée » (avril 2010, 55 p.).
- Henri BRAEMER (pasteur et professeur d’histoire), « Le rôle des femmes dans la décision d’émigrer au moment de la Révocation de l’Edit de Nantes. Une heure avec la chatelaine de Blauzac », Texte d’une conférence donnée à Nîmes le 28 mars 1981, non publiée, 21 p. tapées à la machine.
- Brigitte CHIMIER, "L'objet du mois d'octobre 2016 : Paire d'armoires peintes du 18e siècle",
https://www.dropbox.com/s/gnzovvvv4q9s8ku/objet%20du%20mois%202016-10.pdf?dl=0
- Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, XXIe année (deux poèmes du 18e s. retrouvés dans les papiers de la famille d’ARBAUD : l’un attribué à Jean et l’autre à Isabeau), p. 478 et suivantes. Et aussi sur la famille d’ARBAUD, LXe année, p. 317 et suivantes. Enfin le récit de la Baronne de CHARNISAY, « Etude sur les fugitifs du Languedoc (Uzès) », BSHPF, 1922, p. 102-112.
- Pierre-Albert CLEMENT, Foires et marchés d’Occitanie de l’Antiquité à nos jours, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1999, 398 p. Notamment le chap. sur la foire de Beaucaire, p. 254-285.
- Eugène et Emile HAAG, La France protestante, ou Vies des protestants français qui se sont fait un nom dans l'histoire depuis les premiers temps de la réformation jusqu'à la reconnaissance du principe de la liberté des cultes par l'Assemblée nationale, Paris, 1845, tome 1, notice (approximative) sur Jean d’ARBAUD (p. 120).
- Johann Caspar MOERIKOFER, Histoire des réfugiés de la Réforme en Suisse, Paris, Sandoz et Fischbacher, 1878. L’histoire de la baronne d’ARBAUD est abondamment détaillée aux p. 175-179.