Laurent Ravanel, le Camisard oublié
Dans son Dictionnaire des Camisards (1995) l’historien Pierre Rolland rédige une brève notice à propos de Ravanel :
« Ravanel Laurent, de Blauzac (Malaigues). Peigneur de laine et châtreur de cochon. Camisard et inspiré, lieutenant de Cavalier, il refuse de se rendre avec lui. Il continue le combat avec une troupe de 300 hommes. Sa troupe est défaite à Saint Bénézet en septembre 1704 et il s’enfuit peu glorieusement. C’est néanmoins l’un des chefs camisards à ne pas se rendre. Il est arrêté à Nîmes pour le « complot de la ligue des enfants de Dieu » en avril 1705 et brûlé à Nîmes avec Catinat le 21 avril 1705. »
En sait-on plus sur Laurent Ravanel ?
Une famille blauzacoise
La famille Ravanel est déjà présente à Blauzac dans le compoix de la fin du XVIe siècle. Ils vivent dans le « fort » mais aussi au Blauzaguet et à Malaïgue. Ce sont des petits notables villageois. Au début du XVIIIe siècle le jeune Laurent est peigneur de laine et châtreur de cochons (comme le chef camisard Roland). Avec son épouse et ses deux frères, ils s’engagent avec fougue dans le combat pour la liberté de conscience. Laurent devient assez vite l’un des principaux lieutenants de Jean Cavalier et il participe à presque tous les combats importants. Il refuse cependant le compromis entre Cavalier et le maréchal de Villars, et il est capturé en avril 1705 lors de l’échec du complot de la Ligue des enfants de Dieu. Rapidement jugé, il est brûlé à Nîmes, attaché sur le même poteau que Catinat (le chef de la cavalerie de Cavalier). Les trois frères Ravanel meurent durant la guerre des Cévennes et la famille sera sans descendance à Blauzac. Le compoix de 1649 en témoigne. Les marges des biens appartenant aux Ravanel indiquent les changements de propriétaires au début du XVIIIe siècle : « comme bien abandonné », « donataire universelle ».
La postérité ne rend pas grâce à Laurent Ravanel
Il n’a pas, en effet, eu l’honneur d’une biographie. Alors qu’Eugène Sue, André Chamson, Jean-Pierre Chabrol, Max Olivier-Lacamp, Max Chaleil, et, plus récemment, Jean-Paul Chabrol (pour ne citer que les plus connus) ont multiplié les ouvrages sur presque tous les chefs camisards, Ravanel est oublié ! Il a pourtant joué un rôle essentiel. Pour mesurer cette importance, nous pouvons compter, dans les grands ouvrages de référence, le nombre de pages où chaque chef camisard est cité au moins une fois. Ont été utilisés les ouvrages suivants : Emile G. Léonard, Histoire générale du protestantisme (1961-64) ; Henri Bosc, La Guerre des Cévennes (1985-93) ; Liliane Crété, Les camisards (1992) ; Pierre Rolland, Dictionnaire des Camisards (1995) ; Patrick Cabanel, La fabrique des huguenots (2022). Sans index, celui de Philippe Joutard, La légende des camisards (1977) n’a pas été utilisé. Le résultat est sans appel : à la première place Jean Cavalier (1 105 pages), à la deuxième Roland (575 p.), à la troisième Elie Marion (339 p.) et à la quatrième Ravanel (237 p.). Viennent ensuite : Catinat, Mazel, Jouany, Castanet, etc.
Alors pourquoi aucune biographie du camisard de Malaïgue ?
D’abord Ravanel n’a pas rédigé ou dicté de mémoires ou de souvenirs contrairement à beaucoup d’autres (Cavalier, Mazel, Marion, Bonbounnoux, etc.) et, on le sait, en histoire on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Exécuté en 1705, il n’a évidemment pas pu témoigner dans le Théâtre sacré des Cévennes de Maximilien Misson publié en 1707 à Londres. Un autre camisard blauzacois, Jean Rodat (ou Roudat), a témoigné par oral (il était analphabète) d’une « Déclaration […] de la dite guerre des dits camisards » au Refuge juste après les évènements. Elle est conservée dans les « Papiers » d’Antoine Court à Genève (vol. 17 K) et a été recopiée par Emile Gaidan à la fin du XIXe siècle pour la bibliothèque de la Société de l’histoire du protestantisme français à Paris. Cette relation ne fut jamais publiée, mais elle est intégralement reprise dans le mémoire de master de Batiste Mongazon, Violence religieuse et répression dans les Cévennes au début du XVIIIe siècle (Université d’Angers, 2017, non publié). Mongazon a utilisé la version de la Bibliothèque de la SHPF qui comporte, semble-t-il, des erreurs.
Dans sa Déclaration, Rodat, assez étonnamment, évoque peu son compatriote Ravanel. Il écrit quand même : « tous ensemble, ils furent brûler l’église d’Aubais où Ravanel tua un homme nommé Pierre Roussel par la seule raison qu’il jurait – il était cependant protestant » (probablement le 27 septembre 1703). Peu glorieux…
Blauzac n’a pas eu son grand écrivain, l’équivalent d’un André Chamson passionné par l’Aigoual (et son chef camisard Castanet) ou la Camargue (et son chef camisard Catinat) ou Chabrol avec le Mont Lozère ; un écrivain qui aurait forcément rendu hommage à l’enfant du pays. Ravanel n’a pas, également, attaché son nom à un évènement exceptionnel : la négociation (ou trahison ?) de Cavalier, la mort rocambolesque (héroïque et pitoyable à la fois) de Roland, l’évasion proprement extraordinaire de Mazel de la tour de Constance, etc. Ravanel s’est aussi opposé fermement à Cavalier, qui le lui a fait payer cher dans ses souvenirs. Et puis, il faut bien le dire, l’échec (relatif) du mouvement camisard montre bien, quelque part, que Ravanel a eu tort de poursuivre un combat perdu d’avance contre le roi de France. Antoine Court, le premier historien de la guerre des Cévennes au XVIIIe siècle, ne pouvait pas apprécier le jusqu’auboutisme et le fanatisme d’un Ravanel, qui allait à l’encontre de toute sa politique de réorganisation pacifique et bourgeoise de l’Eglise huguenote – en attendant des jours meilleurs… Il n’y avait désormais plus de place pour des fous de Dieu, des peigneurs de laine ou des châtreurs de cochons.
Ravanel "semblable à un singe"...
Mais le plus important n’est pas là. En réalité la mémoire de Ravanel a été littéralement saccagée par un commentaire, un seul petit commentaire de trois lignes : « De petite taille, ayant les cheveux noirs, le visage mal fait, et semblable à celui d’un singe, sans éducation, brutal et cruel, ne sachant qu’une oraison qu’il récitait tout haut très souvent comme un perroquet ». Ainsi s’exprimait pour la postérité Louvreleuil, le curé de Saint-Germain-de-Calberte, dans Le fanatisme renouvelé (1704-1706, t. 4, p. 50). Louvreleuil écrit aussi que Laurent Ravanel est le fils d’un cardeur de laine. Tout est assassin : l’aspect physique, la laideur, l’animalité, la brutalité, le manque d’éducation, la fausse piété. Comment savoir si c’est vrai ? et comment s’en remettre ?
Ravanel vu par les romanciers...
Par la suite, les grands romanciers évoqués plus haut vont simplement reprendre (par paresse ?) les appréciations de Louvreleuil, en brodant plus ou moins ; et comme on ne sait presque rien de tangible sur Ravanel… tout est permis à l’imagination des romanciers. Je ne donnerai que trois exemples d’écrivains.
Pour Max Olivier-Lacamp dans Les feux de la colère (1969), Ravanel est un « ivrogne inspiré » qui, avec ses hommes, « organise des exercices de piété parmi les Nouveaux Convertis » (p. 154). « Ravanel ferait peur […] toujours saoul, avec sa façon de brailler les psaumes et de tirer l’épée quand on le contredit » (p. 166). Mais c’est aussi un militaire expérimenté qui instruit les jeunes recrues (p 155).
Pour Max Chaleil dans Le Sang des Justes (1985), c’est Ravanel qui « tranche » la tête du capitaine Poul « en faisant une prière à la mémoire de l’oncle Gédéon » Laporte (p. 156). Mais ce fait n’est pas avéré et cet exploit est aussi attribué à d’autres camisards (Samuelet, Catinat). A propos des négociations entre Cavalier et le maréchal de Villars, Max Chaleil insiste sur le refus (avéré) de Ravanel pour tout accommodement avec les troupes royales : « Ravanel, écumant, était prêt à tuer Cavalier de sa main… Ravanel dont pourtant Cavalier venait de faire le lieutenant-colonel du futur Royal-Villars, bel avancement à l’échelle des hommes pour un ancien sous-officier brûlé d’alcool et rongé par la vérole… » (p. 299).
André Chamson évoque dans plusieurs de ses romans le camisard de Malaïgue. Dans La Superbe (1967) : « Ravanel, né dans le pays d’Uzès, un ancien soldat […], maigre, noir, pas très grand, tout marqué de coups de sabre, toujours en colère et toujours en train de chanter des psaumes, en mâchant des chiques à l’eau-de-vie » (p. 215-216).
Toujours Chamson dans le roman intitulé Catinat (1983) : « Ravanel était un singulier personnage. Il n’était l’ami de personne, sauf peut-être de Catinat. Mais si Catinat était fait pour les brusques attaques et les folies de l’offensive à un contre dix, Ravanel, au contraire, était l’homme des défensives à un contre cinquante, où l’on ne lâchait le terrain qu’après l’avoir couvert des cadavres des ennemis » (p. 30). Et il renchérit : « Ce Ravanel, né à côté d’Uzès, dans le petit village [plutôt un hameau] de Malaïgue, était un furieux des batailles, plein de cicatrices sur tout le corps. Il avait l’air de ne se soutenir que par le tabac et l’eau-de-vie. A chacune des cicatrices qu’il portait sur sa peau correspondait un ennemi mort, car on ne touchait pas impunément à ce démon des combats » (p 97). La fin de Ravanel fut pourtant exemplaire : il « endura toutes ses souffrances avec un stoïcisme qui dépassait le courage humain le plus ferme. Pas un mot ne sortit de sa bouche. Il mourut en méprisant ses juges et, pour la première fois peut-être, un sourire effleura ses lèvres. […] Lié dans la même mort [que Catinat], Ravanel, le fils de Malaïgue, était attaché contre lui dos à dos, par d’énormes chaines, au gros piquet de bois dur que l’on avait planté au beau milieu des fagots que l’on devait faire flamber tout autour du corps des suppliciés. Ravanel mourut donc assez vite, sans un cri, sans un mot. Et il semblait qu’il aurait pu rester deux heures impassible au milieu des flammes. Mais Catinat qui tournait le dos au vent eut une longue agonie » (p. 155-156).
Enfin, dans La Tour de Constance (1970), Chamson relate ainsi le supplice de Ravanel et de Catinat : « C’était deux des plus fameux chefs camisards. On les a brûlés tout vifs, ce qui est une façon très horrible de mourir. Ils étaient attachés dos à dos, par une chaîne de fer, et des femmes fanatisées venaient jeter des fagots de bois vert sur leur bûcher, pour que la fumée les suffoque lentement, à grande angoisse et à cruelles souffrances » (p. 430-431).
C’est sûr, sa foi et son courage forcent l’admiration…