Marius Duport, un Blauzacois sous l’Arc de Triomphe puis au Mont Valérien
Deux Blauzacois sont tués durant la Deuxième Guerre mondiale : Pierre Bouad et Marius Duport.
(Joseph) Pierre Bouad est « mort pour la France » dans les bombardements allemands de Rennes du 17 juin 1940. Un convoi ferroviaire chargé de 12 tonnes d’explosifs avait été entreposé par erreur dans la gare, et son explosion a provoqué la mort d’environ 1000 personnes. Pierre Bouad appartenait au 222e régiment d’artillerie coloniale. Il était né à Blauzac en 1912 .
Mort et enterré en Italie près du Monte Cassino en 1945, la dépouille de Marius Duport a ensuite été déposée en 1946 sous l’Arc de Triomphe, pour être enfin transférée au Mont Valérien en 1960, où le Blauzacois repose désormais. Pourquoi un tel honneur ?
Famille, enfance
Marius est né à Salon-de-Provence en 1919. Ses parents sont originaires du Gard : Saint-André-d’Olérargues pour le père (Hippolyte, né en 1875) et Blauzac pour la mère (Thérèse Rebuffat, née en 1889). Il a deux frères : André (né en 1914) et Henri (né en 1917). Le couple est commerçant et déménage souvent (on ne sait pas pourquoi). Les Duport tiennent une brasserie (et salle de jeux) à Salon au moment de la naissance de Marius, puis un café en 1922 à Nyons. En 1929 ils passent quelques mois à Blauzac (on ne sait pas pourquoi ; Marius est élève à l’école du village) et ils exploitent un bar à Nîmes à la fin de l’année 1929. A partir de l’année suivante, toujours à Nîmes, ils tiennent un bureau de tabac ; une activité professionnelle peut-être plus compatible avec l’âge (et la santé ?) du père : 55 ans.
En 1931 Marius passe brillamment son certificat d’études (il est premier du canton) et il s’inscrit en septembre au cours supérieur de l’école de la Grand’Rue à Nîmes. Mais après le décès de son fils aîné en 1933 et de son époux en 1935, la mère de Marius abandonne la gestion du bureau de tabac. Elle revient d’abord vivre quelques temps dans son village natal (Blauzac), mais finalement elle retourne à Nîmes et devient gouvernante de l’abbé Duplan, le curé de la paroisse Saint-Vincent-de-Paul. La famille est en effet catholique. Désormais Marius doit songer à travailler. Il s’inscrit à l’école primaire supérieure d’Uzès (où avec son frère, ils sont internes au collège communal, l’actuel lycée Charles Gide) pour préparer l’Ecole normale de Nîmes.
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Etudes, caractère
En octobre 1937, Marius fait la rentrée scolaire à l’Ecole normale nîmoise en tant qu’interne. Il ne passe pas inaperçu : grand de taille (1m83), il aime surtout… dessiner (des caricatures) et… s’amuser, passer par-dessus les murs... Catholique, mais peu intéressé par la religion ; antimilitariste, mais en réalité peu préoccupé par la politique ou par les tensions internationales pourtant inquiétantes (les « années 30 »), il ne semble pas vivre comme ses camarades qui sont, eux, plongés dans les études et la politique. Le directeur de l’Ecole normale portera finalement un jugement peu banal sur cet élève atypique :
« Elève intelligent, mais original et posant l’original au point que nous avons eu parfois des doutes sur son parfait équilibre mental. Travailleur fantaisiste, donnant ses soins à ce qui lui plaisait, en négligeant délibérément le reste. Caractère très personnel, parfois un peu difficile. Capable, s’il veut s’en donner la peine, de bien réussir comme instituteur. »
Ceux qui l’ont croisé confirment ces propos : Marius était gai, drôle, insouciant, inconscient même, fidèle en amitié, peu obéissant, indiscipliné, vif d’esprit et intelligent, aimant par-dessus tout l’aventure, le changement et la liberté. La mobilisation et la guerre en septembre 1939 interrompent ses études.
Un long service militaire l’empêche de participer à la guerre
Marius Duport ne peut pas effectuer sa 3e année de scolarité et il est incorporé le 28 novembre 1939 au 163e régiment d’infanterie de Narbonne. Le 11 décembre il est affecté à l’école d’officiers de réserve de Sète. Puis le 15 avril au centre des élèves officiers de réserve de la Courtine (Creuse), et enfin à Fontenay-le-Comte (Vendée). Marius se montre souvent indiscipliné, antimilitariste même, et il en sort… soldat de 2e classe : c’est donc un échec ! Mais cette expérience lui servira plus tard...
Marius n’a donc pas participé à la Campagne de France (mai-juin 1940), alors que son frère, Henri, est fait prisonnier (et que son compatriote blauzacois Pierre Bouad trouve la mort dans les bombardements de Rennes). Après l’armistice, Marius n’est cependant pas libéré de ses obligations militaires, il est maintenu dans l’armée vichyste réduite à 100 000 hommes. Il intègre le 9 décembre 1940 le 43e régiment d’infanterie alpine (à Carpiagne près de Marseille), puis en janvier 1941 il rejoint un fort isolé, celui de la Tête de chien, au nord de Monaco. Il y reste plus d’un an. En avril 1942 il est affecté au 405e régiment d’artillerie de Marignane. Il n’est démobilisé qu’en septembre 1942. Il a donc passé presque trois ans sous les drapeaux – lui qui goûtait peu la discipline et l’armée.
Une très brève carrière d’instituteur
Dès septembre 1942, Marius est nommé pour son premier poste comme instituteur dans les Cévennes à L’Estréchure, en fait dans l’école du hameau de Vallongue à 5 ou 6 km du bourg. C’est certainement l’un des postes les moins demandés du département. Peut-être même est-ce une sorte de punition de la part d’une administration devenue en partie vichyste et qui se méfie des instituteurs, jugés pacifistes, antimilitaristes, de gauche et responsables de la défaite de mai-juin 1940. Un nouveau pouvoir qui se méfie aussi des Ecoles normales républicaines et laïques (Vichy les supprimera). Et que penser en plus d’un instituteur qui, après avoir fréquenté les écoles d’officiers de réserve, en est sorti… soldat de 2e classe ?
A L’Estréchure, Marius s’intègre bien dans un milieu qu’il ne connait pourtant pas du tout : la montagne, l’isolement, l’hiver cévenol, la vie agricole, le protestantisme exacerbé. Il fréquente peu à peu des résistants, mais sans s’engager véritablement. Il n’est pas concerné par le STO puisqu’il a effectué son service militaire. Fin décembre 1942, il prend la décision d’abandonner son poste d’enseignant pour rejoindre les gaullistes à l’étranger. Nous ne savons pas si un évènement précis a motivé ce choix, ni pourquoi il ne s’est pas plutôt engagé dans les nombreux maquis cévenols.
Rupture et engagement dans la France Libre
En janvier 1943, Marius et un ami partent rejoindre les forces libres gaullistes en passant par l’Espagne. Marius préfère cette « aventure » étrangère aux maquis cévenols (on ne sait pas pourquoi). Les deux amis passent par Prats-de-Mollo (son ami est catalan). Arrivés à Barcelone, ils sont vite repérés par la police franquiste et sont emprisonnés le 10 janvier. Finalement libérés en avril, le 1er mai ils prennent le train pour le Portugal et de là ils s’embarquent sur un navire militaire gaulliste. Direction : Casablanca. Le 6 mai ils signent leur engagement. Ils sont affectés à la 22e compagnie nord-africaine (au sein de la 1ère division française libre) qui combat en Tunisie. Mais ils arrivent en Tunisie peu avant la capitulation des troupes germano-italiennes (12-13 mai 1943).
Grâce à son expérience militaire, Marius est immédiatement nommé aspirant, puis il devient sous-lieutenant le 25 décembre 1943. Il suit de longs mois d’entrainements avant de débarquer finalement à Naples le 18 avril 1944. Lors de la bataille du Garigliano, près du Monte Cassino, il est grièvement blessé le 13 mai et meurt quelques heures plus tard. Il est enterré sur place.
Les honneurs posthumes
Lorsque le général de Gaulle veut créer, en 1945, un monument commémoratif aux « morts pour la France » de la guerre de 1939-1945, il fait exhumer 15 corps provenant des divers lieux de combat, dont celui de Marius Duport. De Gaulle voulait expressément honorer les enseignants de l’instruction publique qui avaient en grand nombre rejoint les forces libres, et montrer, là aussi, la rupture avec le régime pétainiste. Le 11 novembre 1946 les 15 corps sont déposés dans une crypte sous l’Arc de Triomphe.
En 1959, de retour au pouvoir, de Gaulle fait construire un Mémorial de la France Combattante au Mont Valérien, et il y fait transférer l’année suivante les dépouilles des 16 soldats reposant sous l’Arc de Triomphe depuis 1946 (car un 16e corps avait été ajouté en 1952 pour honorer les combats du Pacifique). Un 17e tombeau vide est en plus réservé pour le dernier Compagnon de la Libération qui mourra (ce sera Hubert Germain, décédé en 2021).
Marius Duport a été également nommé au grade de chevalier dans l’ordre national de la légion d’honneur à titre posthume, comportant l’attribution de la croix de guerre 1939-1945 avec citation à l’ordre de l’armée. La citation est éloquente, et complète finalement bien celle du directeur de l’Ecole normale :
« Jeune officier évadé de France, plein de verve et d’enthousiasme, a été atteint d’un coup direct de mortier. Est mort après de longues souffrances. Ses dernières paroles ont été : “Je meurs pour la LibertéË®. »
Une plaque en son honneur est apposée dans le hall d’honneur de l’Ecole normale de Nîmes, et une autre à la mairie de l’Estréchure. En 1973 la ville de Nîmes attribue son nom à une rue et en 1977 la ville de Salon-de-Provence (où Marius était né) fait de même. En 1982, le stade de Blauzac est baptisé « Marius Duport ». Son nom figure désormais sur le « Monument du Souvenir » de Blauzac construit en 2017 par la municipalité de Serge Bourdanove.
Sources : Giovanni Gareli, Marius Duport, Un Gardois de la 1ère DFL, Officier au 22e BMNA, Nîmes, Editions Lacour, 1994. Site internet de la « Fondation de la France Libre » : https://www.france-libre.net/marius-duport/