Blauzac commémore la République en 1892 comme en 2021
Le 27 octobre 2021 le maire d’Uzès, Monsieur Jean-Luc Chapon, est venu remettre officiellement la « Plaque républicaine » (celle de gauche) au maire de Blauzac, Monsieur Serge Bourdanove (à droite) en présence de Maître Coudurier (à gauche).
Quelques explications…
Photo ci-dessus : entre 1998 et 2021 la Mairie de Blauzac est orpheline de ses plaques républicaines... (on devine l'emplacement)
Un peu d'histoire...
Une initiative républicaine
Le 14 août 1892, le Maire de Blauzac, Louis Pellier, propose au Conseil municipal d’honorer le « souvenir du glorieux centenaire de 1792 », c’est-à-dire la naissance de la République française. Voir ci-dessous l'extrait de la délibération municipale.
Le moyen est simple : apposer sur la façade du « groupe scolaire en construction » deux plaques en métal ou en marbre (elles seront finalement en métal) où seront gravés la liste des membres du conseil municipal et les noms des personnalités politiques nationales, départementales et locales, sans oublier l’instituteur de Blauzac.
La proposition du Maire est acceptée à l’unanimité du Conseil municipal. Une somme de 50 francs est débloquée. Les plaques sont fixées sur la façade nord du bâtiment, sous le balcon central et sous l’inscription « Ecole communale – Mairie ». Comme il s’agissait des écoles, les membres de l’Instruction publique sont particulièrement bien mis en valeur : ministre de l’Instruction publique, inspecteur d’académie, inspecteur primaire, instituteur.
Pourquoi fêter la République en 1892 ?
En mai 1892 les élections municipales portent Louis Pellier au pouvoir à Blauzac. Ce maire catholique est entouré de 6 conseillers catholiques et de 5 conseillers protestants (dont l’adjoint), ce qui proportionnellement avantage légèrement les protestants : 42 % des élus pour seulement 33 % de la population (439 catholiques et 219 protestants selon le recensement de 1891). La municipalité représente assez bien une population essentiellement agricole et aux revenus assez disparates : 10 « propriétaires » (dont le maire), 1 boulanger et 1 « propriétaire-boulanger ». Classés par « fortune évaluée en revenus », les élus s’échelonnent de 1000 francs (le maire) à 200 francs (3 élus), soit un rapport de 1 à 5. La municipalité ne reflète pas que les élites sociales comme au début du 19e siècle et elle représente également les plus modestes. C’est par ailleurs une municipalité assez jeune : le maire a 37 ans, son adjoint 44 ans, le conseiller le plus âgé 56 ans à peine et le plus jeune 26 ans. La moyenne est d’un peu moins de 40 ans.
En 1892, cette nouvelle municipalité doit se mettre en conformité avec les lois scolaires de Jules Ferry (1881-1882) et avec la loi municipale de 1884 qui oblige chaque commune à se doter d’une mairie (d’un bâtiment municipal).
Blauzac, qui est alors en train de construire de nouvelles écoles et une nouvelle mairie, entend profiter de ce contexte national et local favorable aux idées républicaines pour poursuivre les efforts de propagande de la Troisième République : enraciner le sentiment républicain dans les campagnes, éviter un retour de la royauté ou de l’empire.
Pour ce faire, en 1889, la jeune Troisième République avait abondamment fêté la Révolution de 1789 : Exposition universelle de Paris, érection de la Tour Eiffel, nombreuses manifestations en province, etc. Encore en 1890, les fêtes étaient nombreuses pour tenter de ressusciter l’esprit de concorde nationale de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790.
Une dizaine d’années auparavant, vers 1880, la plupart des symboles républicains, que nous connaissons encore, sont définitivement adoptés en France : l’hymne national, la fête nationale du 14-juillet, la devise Liberté-Egalité-Fraternité, Marianne, le coq, le sceau, le drapeau tricolore, etc. Le Centenaire de la Révolution (1889) et celui de la République (1892) permettent de réactiver ces symboles.
Mais célébrer la République de 1792 était plus dangereux : c’était prendre le risque de fêter la Terreur et l’action de Robespierre, de fêter le procès et la mort du roi. Peu de républicains modérés (alors au pouvoir) y étaient prêts : ils craignaient à la fois l’extrémisme des républicains les plus exaltés et la volonté de revanche des royalistes.
C’est pourtant ce que les élus de Blauzac ont courageusement décidé avec ces deux plaques !
Un curieux calendrier
Une lecture attentive permet aussi d’observer un curieux mélange de calendriers sur ces plaques…
1. « Le 22 septembre 1892 », soit exactement cent ans après le début de la République en 1792 et… 1892 années après la naissance de Jésus-Christ.
2. « 1er vendémiaire, l’an 101 de la République ». En 1793, la République décide que le 22 septembre 1792 est devenu (rétrospectivement donc) le premier jour du calendrier républicain. Vendémiaire est le premier mois de ce calendrier. Et 1792 devient l’An Premier (et non l’An Zéro).
3. « L’an 104 de la Liberté ». C’est une date qui célèbre 1789 (= « An Premier de la Liberté » et non de la République). En réalité, lorsque les révolutionnaires ont voulu abolir le calendrier julio-chrétien, ils ont hésité entre deux points de départ (1789 ou 1792), pour retenir finalement 1792. Mais à Blauzac, cent ans plus tard, on semble encore hésiter entre les deux dates… et peut-être aussi entre deux types de révolutions…
Très peu de monuments en France évoquent le calendrier républicain. L’historien Bronislaw Baczko écrit même en 1984 dans Les Lieux de mémoire (tome 1, page 79) : « Je n’ai trouvé qu’un seul monument qui commémore le souvenir du calendrier républicain » (dans un village de Corrèze, Le Feyt). Blauzac serait un deuxième exemple...
Epilogue : 14 juillet 2021…
Pendant plus d’un siècle, ces deux plaques ont donc orné fièrement la mairie et l’école blauzacoises. Mais lors de la rénovation du bâtiment, en 1998, une des deux plaques a mystérieusement disparu.
Achetée 23 ans plus tard à la traditionnelle Foire aux antiquités et à la brocante d’Uzès du 14 juillet (!) par Maître Jacques Coudurier, elle a été généreusement offerte au Musée Georges-Borias d’Uzès.
Brigitte Chimier (conservatrice du Musée) et Mireille Olmière (archiviste municipale) s’apercevant que la plaque correspondait en fait au patrimoine blauzacois, la municipalité d’Uzès décide de la rétrocéder à Blauzac.
Chose faite le 27 octobre 2021.
Aujourd’hui remises en place sur leur lieu d’origine par les services techniques de Blauzac, les deux plaques continuent à honorer les valeurs de la République, et répondent toujours au vœu du Conseil municipal de 1892 : « Ne pas laisser inaperçu le glorieux centenaire de 1792 et en laisser un bon souvenir à la génération actuelle, comme à celle qui suivra », qui suivront...
Sources :
-Archives municipales de Blauzac : Tableau des conseillers municipaux pour les élections de 1892 ; Registre des délibérations municipales, année 1892.
-Pierre Nora (sous la direction de), Les lieux de Mémoire, Gallimard. Tome I : La République, 1984. En particulier les chapitres : « Les trois couleurs » (Raoul Girardet), « Le calendrier républicain » (Bronislaw Baczko), « La mairie » (Maurice Agulhon), « Le 14-Juillet » (Christian Amalvi), « Le centenaire de la Révolution française » (Pascal Ory), « La Marseillaise » (Michel Vovelle). Et le tome III : Les France, volume 3 : De l’archive à l’emblème, 1992. En particulier les chapitres : « Le coq gaulois » (Michel Pastoureau), « Liberté Egalité Fraternité » (Mona Ozouf).